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Alexandre H Mathis romans et films

Lumière autour du flare et de son artifice

en mémoire à Patrice Noïa

 

Flare, diagonales lumineuses mouvantes, souvent ensoleillées, dues au pressage de deux lentilles, plus rarement vertical, marquant parfois (tel un effet de style) des films des sixties (et seventies). Volontaire ou pas, ça importe peu, tout de même deux ou trois astuces pour l'obtenir, le flare est typique de ces années. Quand on le recherche, on ne le réussit pas forcément comme on l'aurait voulu. On en trouve des chapelets marquants dans Easy Rider et The Last Movie de Dennis Hopper, chez Pasolini qui en est très friand, et en abuse, Œdipe Roi s'ouvre avec le soleil en plein écran, Médée idem en use jusqu'à saturation, l'ouverture de More de Barbet Schroeder est un petit peu différente, on en trouve ici et là dans le cinéma de Richard C. Sarafian (escapades de Vanishing Point, Sunburn), dans Le Grand silence de Sergio Corbucci, dans Thriller a cruel picture d'Alex Fridolinski, dans La ragazza dal pyjama giallo de Flavio Mogherini, un décorateur de Pasolini, enchaînant sur le flare, des enfants envoient la lumière réflétée dans les miroirs dans les yeux de Ray Milland, le flic qui enquête, la caméra de Camillo Bazzoni recherche ces effets dans L'Homme l'orgueil et la vengeance en cadrant vers le soleil, pour ne citer que ces beaux exemples, cet élément factice du cinéma tel que l'œil ne peut le voir « en vrai » au risque de se brûler les yeux, garde un charme particulier. Maniérisme superficiel peut-être, le flare, évité aujourd'hui par un cinéma plus terre à terre ne levant plus la tête qui se veut le reflet de la réalité, soulignait (un peu gratuitement) l'aspect visuel factice d'une réalité filmée devenue image de cinéma.

Dans Outre Tombe (Haunted Earth pour l'étranger), les flares perforent l'écran. Tel un chalumeau, soleil plein cadre, ce qui n'est pas recommandé pour la caméra, et fortement déconseillé dans les écoles de cinéma.

Cette recherche du flare saturé, parfois vertical, est toutefois justifié dans Outre Tombe, film aux décors, déserts, post-apocalyptiques, entièrement filmé en extérieurs, où les perceptions de l'unique survivante ne peuvent qu'être altérées.

Avec Pamela Stanford, on attendait des fois que le soleil reparaisse au bon endroit pour obtenir, le long d'un pont séculaire, l'effet souhaité, elle repassait dans un sens, puis dans l'autre... jusqu'à ce que le « miracle » veuille se produire...

Si la lumière est ce qui peut (dé)peindre un film, le colorer au sens profond du terme (même si l'on ne voit pas de flares dans les films de l'immense John Ford ou chez Raoul Walsh – je n'ai pas vérifié, à l'époque Hollywood devait les éviter), les drames antiques de Pasolini en portent une empreinte indélébile très singulière et artisanale ; marques de lumières en mouvement pendant une dizaine d'années, marque brute, disparue, regrettée, aperçue dans des centaines voire un millier de films... (certains films seventies de John Frankenheimer tel Les Cavaliers, Ralph Nelson, Paolo Cavara, et bien sûr les westerns italiens, qui en ajoutaient comme du piment sur la paella, en regorgent, on pourrait presque tous les citer).

Le flare a été plus qu'un artifice.

Moins altérant que le grand angle (inesthétique) et que le zoom (aussi aberrant s'il est dépourvu d'une motivation précise qu'inadapté à représenter la vision humaine), le flare était un alliage entre la terre et le personnage. Élément visuel tangible, qui n'existe pas sans l'image, passant, comme l'air, entre personnage et décor.

Diagonales ponctuées de grappes et cercles méduse pastel lumineux balayant l'espace de l'écran, les flares apparaissent, tels des feux-follets cinématiques, exclusivement sur le film en couleurs, sur des plans mobiles, sur des tons clairs.

Le flare marque une époque, tout un cinéma, révolu, non par l'artifice-même, mais par ce que ce cinéma-même montrait sous une autre forme.

Air du temps disparu, apparemment for ever.

L'air du temps a également changé.

What a country ! s'exlame Catherine Lapeyre (Pamela Stanford) perdue à travers les contrées hostiles d'Outre Tombe !

 

© Alexandre H. Mathis, 2019

repris partiellement de

José Benazeraf la caméra irréductible

Herbert P. Mathese (2007, éd. PJ Marest)

 

Lumière autour du flare et de son artifice
Lumière autour du flare et de son artifice
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